Gaël Guiselin, auteur de Confessions d’une taupe au Pôle emploi *, a été chômeur de longue
durée, puis employé au Pôle emploi. Pas un travail de tout repos, comme en témoigne la
réaction de la cellule de crise qu’il a appelée après s’être fait agresser par un chômeur à bout
de patience : « Bonjour, je vous appelle parce que j’ai été victime hier d’une agression physique
sur mon lieu de travail, et je souhaite en parler avec vous. » À sa stupéfaction, il s’entend
répondre : « Monsieur, nous sommes là pour parler de la fusion, pour discuter avec les agents
qui sont déstabilisés. L’agression physique n’est pas de notre ressort. » On ne fait pas plus
clair.
Sarko a fusionné l’Anpe et les Assedic. Afin d’économiser des salaires. Et non pas, bien
entendu, de mieux faire fonctionner le système, comme il le prétend. Les agents de l’Anpe n’ont
pas été formés à comprendre le mécanisme très complexe des Assedic. Les agents des
Assedic ne savent rien des techniques de l’ANPE. Au milieu, les chômeurs, brutalisés tant par
un système calculé pour les radier que par l’incompétence des agents qui traitent leurs
dossiers. Comment s’étonner que, poussés à bout, ils se révoltent en tabassant les agents ?
Le système est au bord de l’implosion. Même physiquement : « Au commencement, ce furent
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quelques documents grignotés dans le local des archives. Puis d’autres. Carrément rongés,
ceux-là. Il y eut aussi les grattements suspects derrière les cloisons, et de fortes odeurs dans le
faux plafond. Et, enfin, les hurlements d’une demande d’emploi, tentant d’escalader un bureau
par la face nord. L’agence hébergeait une colonie de gros rats hyperactifs. » Guiselin remarque
aussi ce que les officiels appellent la transhumance. La transhumance est une migration des
moutons. Mais les chefs utilisent ce mot pour décrire ce à quoi ils forcent leurs employés : « À
Pôle emploi, personne n’a de bureau fixe. Premier arrivé, premier servi. Les agents doivent
rester mobiles. Pas d’espace personnalisé, ni photos de vacances en famille, ni collier de
nouilles. Nicolas Sarkozy a enfoncé le clou en septembre dernier quand il s’est moqué « des
fonctionnaires qui aimaient travailler dans des petits bureaux avec des affiches de la Polynésie
pour rêver ».
En ce qui concerne la Polynésie, les petits fonctionnaires ont les affiches, les ministres ont les
avions du Glam.
Quant au but réel du Pôle emploi, Guiselin est très clair : « Éviter le mot « radiations ». Parler
plutôt de désinscriptions, ça sonne moins négatif. » Il commente : « Lors de notre formation,
nous avons été briefés. Et les consignes sont assez claires : il faut radier, mais en douce. Une
bonne antenne de Pôle emploi, pour la direction, c’est une antenne qui radie, qui élague, qui
coupe à la hache. Entre nous, nous nous surnommons les radiateurs. Plus le taux de radiation
sera élevé, meilleure sera la réputation de l’agence. Pour éviter les états d’âme, l’agent ne radie
pas personnellement. Pas bourreau, juste assistant. Il met en place les démarches qui peuvent
entraîner une radiation. Comment ? En multipliant les mesures radiogènes. La panoplie à
disposition est variée. On peut convoquer davantage en espérant que le demandeur ne viendra
pas, et paf : avis de radiation ; lui proposer plus d’offres d’emploi, de préférence hors champ de
compétence ou d’intérêt de façon à ce qu’il les refuse, et vlan : avis de radiation. »
Comme toujours, de même que les premiers prisonniers d’une prison sont ses gardiens, les
agents du Pôle emploi sont les premières victimes du système : « Fliqués, les agents le sont
aussi, tous les mois, par la direction locale. Chaque fois on me repose les mêmes questions :
ai-je bien convoqué mes 200 clients ? Pourquoi ai-je pris du retard ? L’objectif est d’abord
quantitatif. Le qualitatif est en option. Le pire est que ce flicage en amène un autre, encore plus
pervers : celui qui s’exerce entre collègues. Car le respect scrupuleux de la politique maison
entre en ligne de compte pour le calcul des primes collectives attribuées aux conseillers d’une
agence. Personne n’emploiera le terme de prime à la radiation, pas de gros mots surtout, mais
nous savons tous que les mesures que nous mettons en place peuvent se traduire par des
radiations. Et nous savons que c’est la bonne application de ces mesures qui détermine le
montant de la prime. » Heureusement, les agents font aussi de la résistance. Guiselin décrit
bien des actes par lesquels les agents tentent d’aider au mieux les chômeurs à échapper aux
conséquences du presse-citron géant appelé Pôle emploi.
Il décrit aussi ce que les chômeurs doivent faire pour se justifier : « Le jeune homme s’approche
de mon bureau. Sa main gauche tient une feuille. La droite, tendue devant lui, paume vers le
ciel, lui donne l’air de quêter. Il plaque son papier sur ma table et, de son autre main, laisse
délicatement glisser deux dents. Des molaires pour être tout à fait précis. « On m’a arraché ça !
Voilà pourquoi je ne suis pas venu à mon rendez-vous. Ça vous suffit, ou vous voulez inspecter
l’intérieur ? » Sans attendre ma réponse, le voilà qui ouvre une bouche immense en prenant
soin de m’assurer une vue imprenable sur ses amygdales et sur deux trous foncés en bas de
sa mâchoire gonflée, preuves irréfutables de récentes extractions dentaires. »
Nestor Potkine *. Gaël Guiselin, Confessions d’une taupe au Pôle emploi,
http://www.monde-libertaire.fr/expressions/13425-une-taupe-a-pole-emploi?format=pdf