C'est en pleine Seconde Guerre mondiale que naît la première mouture de ce qui allait devenir les Compagnons de la chanson. Tout commence en 1941 lorsqu'un maître de chapelle, Louis Liébard,
créé à Lyon, alors en zone libre, un ensemble de jeunes gens issus des Compagnons de France, qu'il nomme les Compagnons de la musique. A cette époque, ils rayonnent dans tout le centre de la
France avec un répertoire très folklorique. Liébard est très rigoureux et leur enseigne une technique et une discipline artistique infaillibles.
Parmi les premiers membres, il y a Jean-Louis Jaubert (de son vrai nom Jacob, né en 1920), Hubert Lancelot (né en 1923), Guy Bourguignon, fils de banquier (né en 1920), Jean Albert, le
comique de la troupe surnommé "le petit rouquin", Marc Herrand (de son vrai nom Holtz). D'autres jeunes gens appartiennent à la formation mais disparaîtront dès la fin de la guerre.
En 1943, c'est un jeune fils d'un immigrant italien, Fred Mella (né en 1924), qui intègre la chorale pour échapper aux Allemands. Doté d'une voix exceptionnelle, il devient vite le soliste de
la formation à défaut d'entamer la carrière lyrique de ses rêves.
Edith
En 44, ils donnent l'un de leurs premiers spectacles parisiens à la Comédie française. Antre du théâtre classique, cette salle n'est pas du tout dévouée au music-hall mais c'est le comédien
Louis Seigner qui demande aux jeunes chanteurs d'y faire un récital pour un gala exceptionnel au profit des cheminots. Au cours de cette soirée riche en vedettes, la star n'est autre
qu'Edith Piaf. Emballée par la qualité vocale des Compagnons, elle décide très vite de les prendre en main et de moderniser leur répertoire.
A la Libération, les Compagnons s'engagent sous les drapeaux en tant que chorale dans le théâtre aux Armées. C'est ainsi qu'ils suivent les troupes de la première armée du Général de Lattre
qui se bat encore dans le Nord de la France. C'est à cette époque, qu'ils sont rejoints par Jo Frachon et Gérard Sabbat (né en 26). En 46, prend fin la collaboration avec Louis Liébard. Au
nombre de huit, les Compagnons prennent en main leur carrière. La formation définitive prend forme : Fred Mella, Jean-Louis Jaubert, Guy Bourguignon, Marc Herrand, Jean Albert, Jo Frachon,
Gérard Sabbat et Hubert Lancelot. En septembre 46, la liste est au complet avec l'arrivée de Paul Buissonneau
Le déclic auprès du grand public provient au printemps 1946 lorsque Piaf décide de chanter avec eux "les Trois cloches", un titre écrit par un auteur suisse, Gilles. Grâce à ce "duo", les
Compagnons, désormais Compagnons de la chanson, deviennent des vedettes du jour au lendemain. Le titre se vend à un million d'exemplaires. Tous vêtus d'une éternelle chemise blanche et d'un
pantalon bleu, ils se voient très vite adulés d'un large public à travers la France. Ce public ne tarde pas à s'internationaliser quand Piaf décide de les emmener avec elle en tournée aux
Etats-Unis. C'est ainsi qu'en 1947, les Compagnons se retrouvent à New York. Introduits par Piaf, ils sont reçus comme des stars. Ce premier séjour ne dure pas moins de cinq mois au bout
desquels, la troupe rentre en Europe à bord du Queen Mary, fastueux paquebot.
Dès octobre 48, retour outre-Atlantique avec une poussée vers Hollywood où ils chantent fans les endroits les plus en vue de la ville.
En 1949, lors d'une tournée au Québec, deux d'entre eux se marient sur place. Fred Mella épouse Suzanne, une comédienne. Quant à Paul Buissoneau, non seulement il se marie avec une jeune
Québécoise mais il quitte les Compagnons pour s'installer à Montréal. Il est remplacé par le jeune frère de Fred, René Mella. Né en 1926, le jeune homme intègre la formation pour quelques
temps seulement. Finalement, il y restera jusqu'à la fin.
Scènes succès
Les Compagnons attaquent les années 50 à l'ABC, fameuse salle parisienne de l'époque. Contrairement aux spectacles d'aujourd'hui où l'artiste principal est à peine accompagné d'une première
partie, les neuf compagnons sont entourés de nombreux numéros qui vont des vedettes américaines (Félix Leclerc et Jacqueline François) aux exercices d'acrobatie et d'équilibrisme. Edith Piaf
est au premier rang, fidèle parmi les fidèles, comme elle le sera toujours.
En 1951, la formation monte sur la scène de la salle Pleyel à Paris. Cette même année, on prévoit même de tourner un film sur eux avec les Petits chanteurs à la croix de bois pour interpréter
leurs personnages enfants. En 46, ils avaient déjà tourné dans "Neuf garçons, un cœur". En 52, ils retrouvent les Etats-Unis pour une nouvelle tournée. Puis retour à Pleyel en 53.
Les tournées s'enchaînent à un rythme qui, tout au long de leur carrière, ne ralentira pas souvent. Ils enregistrent également beaucoup et sortent disque sur disque, tous se vendant mieux les
uns que les autres. Avec Piaf, ils enregistrent quelques succès : "Céline", "Dans les prisons de Nantes" en 46, "C'est pour ça" en 47, (chanson du film "Neuf garçons, un cœur"). Au cours des
années 50, les succès se suivent en commençant par "le Galérien" en 50, dont la musique est signée par Léo Poll, père deMichel Polnareff.
En 1952, Jean Broussolle intègre les Compagnons suite au départ inattendu de Marc Herrand qui reprend son ancien métier de chef d'orchestre. L'ensemble y gagne un véritable auteur, mais aussi
un adaptateur. En effet, une des spécialités de la formation est de reprendre des succès du moment, français ou étrangers. Leur répertoire est ainsi composé en partie de reprises.
Les années 50 se déroulent au fil des tournées (souvent américaines) et de la vie familiale de chacun, mariages, enfants, joies et peines.
Voyages et tournées
En 1956, nouveau départ de l'un des Compagnons. Cette fois, c'est Jean Albert qui décide de tenter une carrière solo. Il est remplacé par Jean-Pierre Calvet, jeune guitariste à la jolie voix,
qui rejoint les rangs. En février de cette année-là 56, toute la troupe monte sur la scène de l'Alhambra, mythique salle parisienne de l'époque. Un mois plus tard, ils se retrouvent à la
Gaîté lyrique dans une opérette co-signée par Jean Broussolle, "Minnie Moustache".
Au cours des années 50, les Compagnons collectionnent les succès : "Lettre à Virginie" (Jean Constantin) et "le Violon de tante Estelle" (Broussolle) en 55, "San Francisco" en 56
(Broussolle-Van Parys), "Gondolier" en 57 (Broussolle-De Angelis), "Guitares et tambourins" (Broussolle-De Angelis-Marcucci) et "Si tu vas à Rio" (adapt.Broussolle) en 58 ou "le Marchand de
bonheur" en 59 (Broussolle-Calvet).
Après quelques vingt ans de carrière et d'une vie presque commune pendant les longues périodes tournées, les Compagnons se sont organisés un mode de vie fort organisé. Chacun d'entre eux se
voit doté de responsabilités et de tâches particulières afin de faciliter leur emploi du temps souvent chargé : contrats et relations publiques (Jaubert), régie scénique (Bourguignon),
trésorerie et éclairages (Sabbat) ou costumes de scène (René Mella). Broussolle écrit et arrange des chansons (parfois aidé de Calvet à la composition), Lancelot écrit les mémoires de la
formation. Rien n'est laissé au hasard et tout est réglé avec minutie. Le paiement est régi par les règles de l'ancienneté et le contrat qui lie les neuf chanteurs est exclusivement moral.
Ces règles spécifiques et cette savante répartition des rôles est certainement un des facteurs de longévité des Compagnons.
Le 26 janvier 1961, les Compagnons fêtent leurs vingt ans de carrière à Bobino, scène qu'ils retrouvent un an plus tard, presque jour pour jour, le 8 février 62. En dépit de la vague rock,
yéyé et autres twist ou jerk, les neuf chanteurs vont poursuivre tranquillement une carrière solide sans jamais être vraiment inquiétés par ces courants musicaux qui leur prend leur jeune
public. Les années 60 sont une époque faste pour les Compagnons. Leur succès est tellement confirmé en France et à l'étranger qu'ils n'ont aucun mal à remplir les salles. Après 15 ans passés
sur le label Pathé Marconi, la troupe signe chez Polydor qui en 62, lui offre un contrat en or.
Après avoir maintes et maintes fois chanté à l'ABC dans les années 50, les Compagnons montent pour la première fois en vedette sur la scène de Bobino à Paris en 62. Puis en mars 64, les
Compagnons restent cinq semaines à l'Olympia avant de repartir en tournée internationale. Ils donnent vingt récitals en URSS, puis vont en Israël pour la quatrième fois, tournent longuement
dans toute l'Afrique et retrouvent pour la énième fois, le Canada et les Etats-Unis. A New York, c'est sur la plus grande scène américaine qu'ils défendent leur répertoire. A cette époque,
les Compagnons vendent environ 500.000 disques par an ! A l'instar des années 50, les succès se succèdent dès 1960 : "Verte campagne" (60), "Roméo" (61), "Un Mexicain" (62), "la Chanson de
Lara" (66), "En écoutant mon cœur chanter" (67) ou "Quand la mer monte" (68).
Très amis avec Charles Aznavour, les Compagnons reprennent au cours de leur carrière nombreuses de ses chansons dont "la Mamma", "Que c'est triste Venise"
ou "Sur ma vie". Mais Aznavour a aussi co-signé des titres avec Jean Broussolle ("Un Mexicain", "Roméo").
Dernière ligne droite
De Paris, les Compagnons continuent infatigablement de rayonner sur tous les continents. Cette vie de tournée est à la fois gratifiante et épuisante. Chaque année ou presque, une nouvelle
saison démarre. Le 4 octobre 69, démarre la tournée 69/70. Mais, un parfum particulier s'en dégage puisque le 31 décembre, disparaît Guy Bourguignon. Les Compagnons continuent à huit, ayant
décidé de ne pas remplacer leur ami décédé. C'est ainsi qu'au printemps, ils retrouvent le Québec où ils sont très populaires.
En 72, c'est Jean Broussolle qui quitte la troupe. Il conserve néanmoins son activité d'auteur et écrit entre autres pour Sacha Distel. Cette fois, les Compagnons lui trouvent un remplaçant
en la personne de Michel Cassez dit Gaston. Benjamin de l'octuor, Gaston est un multi-instrumentiste qui s'est illustré avec Claude François.
C'est donc sous une forme un tantinet rajeunie que les Compagnons poursuivent leur route au cours des années 70. Israël en 72, Paris en 75 ou le Japon en 79, pas une année sans scène
internationale ou nationale. En 1973, ils retrouvent la scène parisienne de Bobino après trois années d'absence. Quelques nouveaux auteurs-compositeurs apparaissent dans leur répertoire dont
le duo Jean-Claude Massoulier/André Popp, et même, Michel Mella, fils de Fred. Mais les Compagnons chantent toujours beaucoup d'adaptations comme "la Marche de Sacco et Vanzetti" (71) ou
"Parle plus bas (du film le "le Parrain" en 72). Après le départ de Jean Broussolle, Jean-Pierre Calvet continue d'écrire certaines musiques et le nouvel arrivé, Gaston, co-signe certains
titres ( "Mouche", "On se quitte", "On a déjà vu ça").
Adieux
Alors qu'ils approchent à grands pas des quarante années de carrière, les Compagnons songent à leur retraite. C'est ainsi qu'en 1980, ils annoncent leur tournée d'Adieux. Elle durera près de
cinq ans !
En 82, peu après une série de récitals qui a traversé la France, la Belgique et la Suisse, Fred Mella subit une opération du cœur. Cette parenthèse ne met en rien un frein à leur carrière
puisqu'ils reprennent la route pour une nouvelle tournée d'adieux qui confirme une popularité intacte. Cette fois, c'est réellement la fin de leur parcours commun. Le 30 août 83, ils donnent
leur tout dernier concert sur la scène de l'Olympia qu'ils ont rempli une ultime fois pendant cinq semaines. Cette année-là, ils voyagent aux Etats-Unis, au Canada, en Egypte ou en Israël où
on les réclame encore une fois. L'ultime récital a lieu le 15 mars 85.
Chacun d'entre eux se consacre dès lors à son activité favorite. Jean-Louis Jaubert au football en tant que membre actif de la fédération nationale, Gérard Sabbat rêve de théâtre, Jean-Pierre
Calvet et Gaston travaillent pour la télévision, René Mella se consacre à la construction en bâtiment et Jo Frachon devient même animateur d'un célèbre jeu télévisé. Mais aucun d'entre eux ne
reste vraiment dans la musique. A l'exception de Fred Mella qui a un peu de mal à quitter le métier. C'est ainsi qu'en 1987, il monte une société de production, donne quelques concerts en
solo et fait quelques apparitions télévisées. Mais rien de durable. Il s'adonne aussi à la peinture.
En 1989, Jean-Pierre Calvet meurt à 62 ans. En 92, c'est Jo Frachon qui disparaît. Les Compagnons appartiennent désormais à l'histoire de la chanson française qu'ils ont participé à
construire pendant 40 ans, 40 disques, 400 chansons et 8000 galas. Aujourd'hui, les innombrables compilations toujours rééditées continuent à se vendre. En 89, Hubert Lancelot, archiviste de
la formation, a sorti un ouvrage sur l'épopée des Compagnons, "Nous, les Compagnons".
Pour ses obsèques, le président François Mitterrand souhaitait que soit joué "L'enfant aux cymbales". Ce fut en janvier 1996.