1. Le revenu universel est une idée libérale, beurk !
Pour certains, le revenu universel est une idée libérale qui vise uniquement à se débarrasser de l’état providence. Mais ce n’est pas ce que disent les libéraux, pour qui il ne s’agit pas
forcément de démanteler l’état providence que de prendre acte du fait que la redistribution centralisée ne fonctionne pas aussi bien qu’on l’avait imaginé. Ce système est très couteux, et génère
des injustices sociales autant que des privilèges. Tout ça pour de si piètres résultats : un
niveau d’inégalités record.
Face à l’échec de l’état providence dans sa forme actuelle, le revenu universel s’impose donc comme une évidence aux yeux de certains libéraux. Mais cela ne veut pas dire qu’il faut remettre en
cause l’ensemble de l’état providence. Il n’est question pour personne de supprimer la sécurité sociale par exemple. On peut en revanche très raisonnablement transférer la
plupart des prestations actuelles dans une allocation unique.
De plus, contrairement à ce que certains sont tentés de penser, le revenu universel n’est pas seulement une opportunité pour les libéraux de redorer leur blason face aux dégâts présumé du
libéralisme au XXème siècle… Cette idée, aussi paradoxal que cela puisse paraitre, s’inscrit au contraire parfaitement dans la philosophie libérale. En effet, puisqu’un marché ne peut être
efficient sans individus libres de leurs choix, d’entrer ou de sortir sur le marché, le revenu de base est dès lors nécessaire.
2. Pire, c’est une idée communiste !
Selon le point de vue de l’interlocuteur, tandis que certains y voient une idée libérale, d’autres y voient une affreuse idée communiste. Mais le communisme avait pour objet
l’éradication de la propriété privée et des inégalités alors que le revenu universel ne les remet pas en cause. Les inégalités seront certes régulées par un « revenu
plancher » mais aucunement régulées à la hausse. Par ailleurs, contrairement au communisme, le revenu universel n’a pas besoin d’un système de contrôle des citoyens. Son caractère universel
et inconditionnel permet au contraire de rendre les individus plus libres.
D’une manière générale, il faut arrêter d’essayer de cataloguer le revenu universel d’idée « de droite » ou « de gauche ». La
vérité, c’est que l’idée du revenu de base est tellement puissante qu’elle dépasse totalement la logique bien française du clivage gauche/droite. Et quand bien même il existerait de réelles
divergences entre les partisans du revenu de vie, ces différences sont loin d’être insurmontables à mon sens. A moins bien sur qu’il n’y ait pas de débat…
3. Le revenu de vie poussera les gens à l’oisiveté
Ici, il faudrait déjà savoir de quel montant on parle. Aujourd’hui, les montants dont on entend parler se situent entre 400 et 850 euros. Loin de permettre à tous de mener une vie très
confortable sans travailler !
Avant de juger du comportement présumé des autres, commencez par vous demander « et moi, arrêterais-je de travailler si on me donnait 800 euros par mois ? ». Jusqu’à présent, je n’ai jamais
rencontré quelqu’un qui m’ait répondu positivement. La vérité c’est que la plupart des gens ne détestent pas leur travail, ou ne détestent pas LE travail en soi. C’est le fait de ne
pas avoir la possibilité choisir son activité qui est insupportable.
Plus concrètement, des expériences menées dans les
années 70 aux États-Unis et au Canada ont révélé qu’avec un revenu garanti, le nombre d’heures travaillées avaient effectivement baissé d’environ 11%. Une baisse significative, mais on
reste quand même loin d’une fainéantise généralisée. Surtout lorsque l’on sait que les personnes qui avaient arrêté de travailler étaient surtout des femmes, des étudiants, et ceux qui cumulaient
plusieurs emplois…
Une expérience en Namibie a même montré une
augmentation de la production locale, car les gens n’avaient plus besoin de lutter pour leur propre survie. Une fois leurs besoins primaires dépassés, ils pouvaient donc s’adonner à des activités
marchandes pour lesquelles ils ont des affinités ou de vraies compétences.
Une femme s’est mise à confectionner des petits pains ; une autre achète désormais du tissu et coud des vêtements ; un homme fabrique des briques. On a vu tout d’un coup toute une
série d’activités économiques apparaître dans ce petit village. Cela montre clairement que le revenu minimum ne rend pas paresseux mais ouvre des perspectives. Source :Courrier International
D’ailleurs, même en feignant de croire qu’une désincitation généralisée du travail serait probable, il faut bien noter que puisque le revenu universel est indexé sur la croissance, son montant
baisserait aussi si tout le monde s’arrêtait de travailler. Du coup, cela forcera de fait les gens à chercher des revenus complémentaires pour compenser la diminution du revenu de base. Et donc à
retourner travailler.
Bref, il est évident qu’une certaine frange de la population arrêtera de travailler si on donne un revenu garanti à tous. Beaucoup de gens changeront aussi surement de travail, ou passeront à
temps partiel. Mais serait-ce vraiment un drame dans un pays qui a 10% de chômage ? Et n’est-ce pas l’essence même du progrès que de permettre aux hommes de travailler
moins ?
4. Oui mais plus personne ne voudra effectuer les tâches ingrates
Ceux qui étaient contre l’abolition de l’esclavagisme avaient le même type d’argument : il faut nécessairement une classe de pauvres à exploiter pour qu’une société fonctionne. Mais cette
étroitesse d’esprit est facilement surmontable puisque dans la réalité, il y a 3 moyens de répondre à ce problème :
-
augmenter les salaires des boulots pénibles de manière à augmenter l’offre de main d’œuvre. Ce qui finalement n’est que justice : les boulots pénibles seront revalorisés
par simple mécanisme de marché.
-
rationaliser la réalisation de ces tâches par la mécanisation ou l’informatisation. De nombreuses « tâches
ingrates » disparaitraient ainsi. Qui s’en plaindra ?
-
diviser la charge de travail pénible entre les citoyens. Le traitement des déchets peut, par exemple, être en partie « crowdsourcé » par la mise en places de
dépôts de quartiers au lieu du ramassage à domicile. Le bénéfice du revenu universel serait la contrepartie de ces petits efforts.
5. Le revenu de base va provoquer de l’inflation
Difficile de ne pas l’admettre, puisque le premier effet d’un revenu de base serait d’éradiquer l’extrême pauvreté en France. Les couches les plus pauvres pourront consommer plus du jour au
lendemain, ce qui va naturellement augmenter la demande, et donc provoquer de l’inflation. Certes, mais si l’on suit ce raisonnement à la lettre, il ne faudrait donc surtout pas que les pauvres
s’enrichissent ?! C’est absurde ! Une inflation raisonnable est un phénomène normal dans une économie en croissance.
Le tout est bien sur de contrôler cette inflation, et que la croissance générée profite à tous. Or, dans le système actuel le rôle de la BCE à cet égard est plus que discutable. On ne peut pas
construire un avenir économique en ayant pour seul objectif de limiter l’inflation, sous peine d’arriver à des absurdités du genre de Jean-Claude Trichet gouverneur de la BCE, qui urge aujourd’hui les entreprises de ne pas augmenter les salaires…
Par ailleurs, il faut noter que puisque le revenu de base est corrélé au PIB du pays, avec la croissance, le revenu de base augmente aussi de manière à ce que les faibles revenus ne sont pas les
plus affectés par l’inflation. En fait, contrairement à la situation actuelle, l’inflation ne devient que mieux supportable avec un revenu universel.
6. C’est une idée utopiste !
Oui, et alors ? L’abolition de l’esclavage ou de la peine de mort, la démocratie, le suffrage universel étaient aussi, en leur temps, des idées utopistes. Jusqu’au moment où, avec l’évolution de
la société, ces idées deviennent non seulement réalisables, mais nécessaires.
Or, il devient de plus en plus évident qu’après 30 ans de chômage de masse, nous ne parvenons pas à retrouver le plein emploi. Mais c’est normal : nous n’avons tout simplement plus besoin de
travailler autant qu’avant. Les gains de productivité que nous apportent les technologies nous permettent aujourd’hui d’envisager un monde ou le travail salarié n’aura pas autant de place que
pendant les Trente glorieuses. Dès lors s’impose la nécessité de garantir à tous de pouvoir vivre modestement sans travailler.
De même, nous voyons bien avec la crise de la dette que le système actuel est dans l’impasse. Les pays comme la Grèce et le Portugal qui sont contraints de mettre en place des plans d’austérité
pour diminuer leurs déficits publics ne font qu’appauvrir encore plus leurs espoirs de croissance. Quant aux plans de relance, cela ne fait jamais que 30 ans que l’on essaye, avec le peu de
succès que nous connaissons. La vérité, c’est que la seule solution pour s’en sortir n’est pas de dépenser moins ou plus, il s’agit juste de dépenser mieux. Et c’est
ici bien sur que le revenu universel s’impose à nouveau comme le compromis nécessaire.
7. C’est impossible à financer !
C’est probablement l’objection la plus légitime : comment financer un revenu de base alors que nous sommes déjà endettés jusqu’au cou ? C’est aussi la question qui divise probablement le plus les
partisans du revenu universel. Je ne vais pas prendre partie ici, mais seulement vous présenter les grandes théories.
- Le point commun de tous, est que l’on peut déjà commencer par transférer un certain nombre d’allocations (RSA, APL, allocations familiales etc.) dans une allocation unique. De la même manière, il convient également de supprimer toutes les
niches fiscales et autres petits privilèges bien français qui rendent notre système fiscal illisible.
- Ensuite, un certain nombre d’économistes proposent la mise en place d’une flat tax, c’est à dire de réformer l’impôt sur le revenu en taxant les
revenus par un taux unique : 30% par exemple.
- D’autres prônent plutôt une augmentation significative de la TVA (certains vont
jusqu’à 100% !) de manière à remplacer pour partie au moins les charges salariales. Cette perspective en effraie plus d’un, mais en fin de compte c’est assez logique dans une certaine mesure
: car sinon les travailleurs seront les seuls à payer pour le revenu de base des autres, ce qui serait injuste ! L’avantage étant aussi que cette TVA sociale agit comme une forme de
protectionnisme, favorisant ainsi une relocalisation de l’économie, et que cela rend par ailleurs le marché du travail plus flexible… Par ailleurs, n’oublions pas que la TVA est l’impôt le plus
facile à collecter.
- Enfin, une autre hypothèse de travail encore plus intéressante à mon sens est celle du dividende universel, qui consiste à financer un revenu d’existence
par création monétaire, outrepassant ainsi le
monopole des banques dans ce domaine. Je reviendrai plus en détail sur cette idée, promis…
Globalement, la question du financement n’est finalement pas le plus grand obstacle. Nous savons depuis des lustres que nous devons réformer en profondeur notre fiscalité. Les récents travaux de Piketty n’ont fait que le confirmer : notre système est à l’agonie !! Il est donc urgent de faire des réformes,
adapter ces réformes à un revenu universel n’est qu’une question de volonté politique.
Enfin, le revenu de base est également l’occasion de remettre en cause le fait que seules les banques commerciales peuvent créer de la monnaie.
8. L’état est déjà très généreux en France, ça ne va rien changer !
Effectivement, les sommes brassées par les administrations sociales dans le cadre de la redistribution des richesses sont très importantes. Environ 600 milliards d’euros par an !
Mais cet argent va-t-il en direction des bonnes personnes ? De nombreuses études tendent à montrer que le système français de redistribution des richesses est très peu performant. Selon Yann
Algan et Pierre Cahuc par exemple, notre
système social est directement coupable de la défiance qui mine notre société. Pourquoi ? Parce que notre modèle de redistribution des richesses est basé sur une culture du statut, et
donc sur une inégalités des individus.
Face à cela, le revenu minimum garanti a le mérite d’être totalement universel et égalitaire. Il aurait donc pour vertu de ré-impulser de la confiance entre les citoyens.
Par exemple, le fait que tout le monde touche au moins le revenu universel pourrait être un facteur de confiance dans la solvabilité des locataires, les propriétaires étant bien connus pour
préférer louer à des fonctionnaires dont la sécurité financière est quasi absolue…
Par ailleurs, il est évident que la perception des prestations sociales est différente du revenu garanti. Dans le premier cas, vous touchez une aide en contrepartie d’un statut que vous pouvez
perdre, d’un droit qui peut expirer selon les lois en vigueur, et des girouettes qui nous gouvernent. Autrement dit, ces aides ne vous permettent pas de faire des projets à long terme, et vous
maintiennent dans une logique d’assistanat plutôt que de vous rendre autonome.
9. L’immigration va encore plus augmenter !
Certains craignent qu’une telle idée provoquerait un débarquement massif d’étrangers sur notre territoire, motivés par le gain d’un tel dispositif. Mais le raisonnement oublie que ce revenu est
soumis à une condition de citoyenneté. Il n’est donc pas attribué systématiquement à toute personne mettant les pieds sur notre territoire.
Précisons néanmoins ici que l’on ne peut limiter l’octroi ce revenu aux citoyens de nationalité française. De nombreux étrangers vivent et travaillent en France, et paient des impôts à l’État
français. Il n’y a donc aucune raison que ces personnes ne soient pas considérées comme citoyens à part entière.
Mais bien sur, l’idéal serait que les autres pays adaptent également un système de revenu de base afin de ne pas attirer davantage de flux d’immigrés. On peut à ce titre espérer que si la mise en
place du revenu garanti fonctionne chez nous, d’autres pays seront rapidement bien inspirées de nous imiter, ne serait-ce que pour que leurs intellectuels n’émigrent pas. Nous pouvons également
dès aujourd’hui nous battre pour revendiquer un revenu de base européen.
10. La société n’est pas prête, il faut d’abord réformer le système
Certains nous disent que la société n’est pas prête, qu’il faut tout d’abord faire les réformes nécessaires pour que cela puisse être mis en place. Mais la puissance du revenu universel, c’est
justement que cette mesure modifie par elle-même le système en créant de nouvelles dynamiques dans le comportement des individus. Ce qui
permet ainsi de modifier en profondeur des structures de la société, non pas par des lois ou des contraintes top-down, mais par la base de la société : l’individu.
Avec le revenu de base, les rapports de force entre travailleurs et actionnaires sont par
nature bouleverséscar les salariés auront le choix de ne plus travailler, ou à temps partiel. De même, les activités créatives difficilement rentables dans la sphère marchande seront d’une
certaine manière indirectement subventionnées, ce qui favorisera l’émergence de nouvelles formes de valeur dans la société.
Mais bien sûr, il faut bien garder à l’esprit qu’un tel système devrait être implémenté progressivement dans la société de manière à ne pas tout changer du jour au lendemain. Il
faut que les entreprises aient le temps de faire évoluer leurs organisations. De même, il faudra du temps pour que la législation du travail ou de la fiscalité évolue pour entrer en adéquation
avec le revenu universel.
Mais cela ne nous empêche absolument pas de commencer par un revenu de 150 euros/mois financé rien qu’en transférant les allocations actuelles. On peut ensuite augmenter progressivement ce revenu
sur 5 ans à mesure que la réforme de l’état et de la fiscalité libère les financements nécessaires. En ajustant le système au fur et à mesure qu’il est expérimenté…
Ai-je oublié des objections ? N’hésitez pas à réagir en commentaires de cet article .
Photo flickr CC frolleinbombus
Quelques articles de références :
Vu sur : http://www.tetedequenelle.fr/2011/04/mauvaises-raisons-revenu-de-vie/